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Le spectateur affranchi
10 juin 2022

L'INTENTION GUIDE DE LA RAISON

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Il y a toujours d'excellentes raisons quant à retenir la lumière au fond du puits : découvrir ce qui s'y cache, protéger la vérité nue des agressions du monde, entretenir le suspens...

Dans un débat, ce qui compte n’est pas l’argumentaire, aussi riche soit-il de références. Il y a toujours des arguments pour tout et son contraire, et la raison raisonnante a une virtuosité que la sincérité ignore quand l’honnêteté n’a pas d’autre raison qu’elle-même. En vérité, l’important n’est pas dans la cohérence des démonstrations ; ce qui compte se tapit toujours dans la ronde des intentions, le cadre des objectifs visés, la détermination des choix selon la direction des partis pris ici et maintenant. Dans le monde mal habité, la « bonne » foi n’existe pas, il n’y a que la charité bien ordonnée.

C’est comme l’Histoire, ce récit du passé tel qu’il peut être reconstitué par les historiens dans le respect des règles de leur discipline. Celle-ci est souvent mise en cause, présentée comme interprétation à géométrie variable. Ceux qui lancent ce type d’attaque sont aussi malhonnêtes qu’imbéciles dans la mesure où l’argument revient à invalider leur propre discours. Si l’histoire comme science n’est que points de vue, il n’y a plus d’histoire et les références au passé sont toutes à effacer des tablettes comme relevant d’une identique invention. Bien sûr, comme science, l’histoire suscite des débats, des disputes parfois ; mais tant que le récit prend en compte tous les faits – sans en nier un seul, y compris les faux vrais, à savoir les mensonges du passé qui ont fait incidences réelles – et s’emploie à coordonner de façon critique les points de vue de tous les témoins, elle impose une reconstitution du passé valide jusqu’à la découverte d’un nouvel indice qui permettra d’en compléter le modèle.

Mais « l’histoire est le récit des vainqueurs » ! Ce défaut est en effet très répandu. Pourtant, l’histoire n’est pas écrite que par les vainqueurs. Certes, ces derniers ont l’avantage de la victoire qui, pour imposer un discours, leur assure des moyens que les vaincus n’ont pas. Le problème de l’authenticité historiographique, pourtant, n’est pas dans le déséquilibre de la parole entre les ennemis d’hier. Plus déterminant est le fait que tous, les battus comme les gagnants, racontent toujours le passé en fonction de l’épilogue qu’ils en connaissent et non pas à pas, selon tous les possibles qui se sont présentés à tous les acteurs pendant toute la durée du conflit. Dès lors les uns et les autres ne retiennent que les causes qui ont eu leurs effets, toutes les autres étant considérées comme nulles parce que leurs suites ne sont pas advenues. La lecture rétrospective du passé ne tend pas seulement à favoriser une vision déterministe de l’Histoire, jusqu’à encourager les proclamations sur le sens qu’elle aurait qui est forcément le « bon » parce qu’il est celui dont les héritiers profitent, elle fait l’impasse sur ce qui est le sel plus ou moins corrosif de la vie : l’incertitude du moment présent, le devoir de choisir entre des options qui ne sont pas toujours souhaitées, la réalité du monde comme un jeu de hasard et d’insupportables paris à oser. Quand les jeux sont faits, rien ne va plus. La machine à remonter et corriger le temps n’existe pas. Seul, l’expert rigoureux qui fait l’effort de se replacer dans la situation qu’il analyse en oubliant, autant que faire se peut, la chaîne complexe des causalités qu’un choix parmi les possibles peut provoquer sans que cette chaîne ne soit elle-même prédéterminée, seul ce spécialiste soucieux d’impartialité peut dire le passé au plus proche du possible. Les autres ont le droit de parler mais en tant que consommateurs qui ne prennent à la carte que les plats qui flattent leur palais. Ce sont souvent d’excellents polémistes, mais rien que des polémistes.

Dans un débat, ce qui compte n’est pas l’argument, mais l’intention qui anime l’esprit.

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  • Il y eut des spectateurs engagés. Le refusant est un acteur qui entend rester libre autant que faire se peut. Mais sa liberté passe par l'analyse attentive du monde. Un spectateur affranchi est un acteur averti, au mieux du possible.
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