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Le spectateur affranchi
5 février 2021

MENSONGES DE LA MERITOCRATIE

417px-Ob_08615b_meritocratieLa pertinence d’une méritocratie ne se mesure pas à la réussite accomplie d’un citoyen quand il franchit la ligne d’arrivée ni à sa situation sur la ligne de départ. Toute la mauvaise foi des néolibéraux est inscrite dans la façon dont ils sortent de leur chapeau l’exemple du self made man parti de rien et arrivé au sommet pour justifier leur modèle, s’empressant d’oublier que celui-ci est l’exception qui confirme la règle. Cette manière de procéder n’a d’égale que celle de leurs contradicteurs quand ils désignent le malheureux accablé de bout en bout du parcours sans jamais interroger les raisons foncières de son échec. Il n’y a de réalité méritocratique que sur la foi des circonstances qui permettent ou empêchent chacun de réussir ; elle s’évalue au gré du parcours suivi et non à ses extrémités. Car celui qui réussit en volant sa part à son voisin n’est qu’un voyou, nullement un modèle ; de même, celui qui échoue parce qu’il passe plus de temps à se plaindre qu’à agir est un veule bien plus qu’une victime. L’enfant du milliardaire n’a pas de mérite parce qu’il ne travaille jamais sans filet ; celui du sans-papier n’a aucun démérite parce qu’il n’a pas l’autorisation de réussir. 

De fait, la méritocratie telle qu’elle est communément comprise ou présentée est une forme de gouvernement qui n’existe pas car aucun système n’est capable – à ce jour – d’aider chacun tout au long de la course et d’empêcher les concurrents de tricher. Certes, les méritants existent, mais ils sont rarement au pouvoir et quand certains d’entre eux – les exceptions qui confirment la loi – y parviennent malgré tout, ils oublient souvent le chemin parcouru, refusant à d’autres ce qui leur a été donné. De fait, comme son nom l’indique, la méritocratie, n’est qu’une compétition qui n’offre de médailles et le pouvoir afférent qu’aux trois premiers concurrents. Elle n’est que la loi du plus fort habillée de la bure monastique, un mensonge, une tromperie. Les podiums sportifs modernes sont des révélateurs qui témoignent de l’inégalité des champions à l’arrivée, souvent bâtie sur le recours à des produits illicites. Les récompenses olympiques ne sont jamais attribuées en fonction du handicap au départ. Elles ignorent que le vainqueur, pour avoir plus de talent, n’a pas forcément plus de mérites. Sans équipe à son service, ni dispositions naturelles qui font les champions, la lanterne rouge du Tour de France en a bien plus que le maillot jaune.

La méritocratie est un système de sélection auquel chacun est libre d’adhérer si bon lui semble, mais il faut appeler un chat « un chat » et « méritocratie » un gouvernement en faveur du mérite et non de la puissance. La « méritocratie » telle qu’elle s’expose n’est pas ce qu’elle prétend ; elle n’est, de fait, que le masque dont se parent les thuriféraires de la loi des plus forts.

Lire Richard Sennett, « Mensonge méritocratique », Le Monde, 9 avril 2011.

Pour aller plus loin : La méritocratie contre l'inégalité

méritocratie

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Le spectateur affranchi
  • Il y eut des spectateurs engagés. Le refusant est un acteur qui entend rester libre autant que faire se peut. Mais sa liberté passe par l'analyse attentive du monde. Un spectateur affranchi est un acteur averti, au mieux du possible.
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