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Le spectateur affranchi
17 juin 2020

L'HISTOIRE EST LAIDE ET LA MEMOIRE L'OUBLIE

p08gbb29L'Histoire est plutôt laide. Elle raconte toujours ce qui frappe ceux qui la vivent, ce qui sort du fil ordinaire des jours : les guerres, les crises, les révoltes. La mémoire est plus belle dans la mesure où elle fait récit de ce que les hommes veulent préserver du passé, que ce soit par respect des morts, nostalgie ou pour faire leçon dans le futur. Comme dans les albums photo des familles, la mémoire sélectionne plutôt les bons moments (anniversaires, mariages, fêtes) que les mauvais (accidents, décès, divorces).

Si l'Histoire est plutôt laide, elle est neutre, aussi, parce qu'elle a vocation à exposer ce qui a été. Elle ne juge pas. Fruit d'une sélection, la mémoire, en revanche, est partisane. Elle milite pour une cause, elle défend une idée, des valeurs ou une conception de ce qui est bien et doit être défendu. La mémoire est engagée et c'est en cela qu'elle est discutable, qu'elle donne matière à négociation. Car ce qui est positif pour l'un ne l'est pas forcément pour son voisin.

Ces jours-ci, à travers statues et monuments, des récits de mémoires ont été contestés par une fraction des populations qui y sont confrontés. La mise à terre ou dégradation de ces oeuvres est une violence symbolique qui interpelle mais elle peut se justifier et mérite d'être discutée. Il arrive toutefois qu'elle porte atteinte à l'Histoire et c'est là que le bât blesse l'historien.

En effet, effacer les marques du passé au prétexte des fautes, injustices ou crimes qu’elles évoquent, revient à gommer les chapitres gênant de l’Histoire comme s’y emploient tous les régimes totalitaires. Répétons-le : l’Histoire est laide parce qu'elle raconte les horreurs qui ponctuent la vie des peuples dont elle tend à ignorer les vertus au prétexte que celles-ci sont trop banales pour « faire le buzz ». L’Histoire est une sorte de roman noir qu’il vaudrait peut-être mieux ignorer en en rejetant les reliefs sous le tapis ; sauf que le déni ne change pas le passé. Le courage invite au contraire à le regarder en face, à en débattre pour mieux le comprendre, lui donner sens et retenir les leçons qu'il donne, toutes les leçons... Vœu pieu ?

Voeu pieu sans doute, car l’Histoire n’apprend rien. Non seulement parce que ce n’est pas sa fonction, mais parce que les seuls récits auxquels se réfère le commun des mortels se concentrent sur les faits et leurs enchaînements – le romanesque ? –, laissant la compréhension des causes profondes à quelques spécialistes aux discours compliqués. À l’instar des très prisés « spectacles historiques », ces récits mettent en scène les grandes batailles plutôt que l’irresponsabilité de ceux qui déclarent les guerres, les crises économiques au lieu des méfaits des investissements non productif qui les provoquent, les violences des révoltes sans jamais questionner les iniquités prolongées qui y conduisent, etc.

Confondre l'Histoire et la mémoire, c'est toujours prendre le risque de favoriser l'oubli, celui de la censure et des blessures que le déni entretient.

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Le spectateur affranchi
  • Il y eut des spectateurs engagés. Le refusant est un acteur qui entend rester libre autant que faire se peut. Mais sa liberté passe par l'analyse attentive du monde. Un spectateur affranchi est un acteur averti, au mieux du possible.
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