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Le spectateur affranchi
9 octobre 2018

DE LIVRES EN BLOGS

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Peut-on considérer le livre comme un objet fini ? N'est-il pas l'expression d’une réflexion achevée ? O livres ! Objets inanimés, n'auriez-vous donc pas d'âme ?

A priori, oui, peut-être : le livre est un « objet fini ». Parce que imprimé et publié, il est comme figé : son contenu est fixé et ne changera plus, enfermé qu’il est entre ses pages de garde, ces couvertures rigides comme les portes d’une prison ; d’une prison dorée, certes, quand la couverture est jolie, mais d'une prison malgré tout si elles définissent une frontière au-delà de laquelle le livre n'est plus ! Livre, objet fini dont les innovations seraient posées comme définitives ; tout comme ses erreurs, d'ailleurs, au point d’autoriser les malveillants à s’appuyer sur celles-ci pour dénigrer ceux qu'ils n'aiment pas ou à faire référence d'un titre de renom pour justifier leurs thèses, ignorant tous les débats et corrections concomitantes ou ultérieures si elles gênent la diffusion de leurs convictions.

Mais, a posteriori, non : le livre n’est pas un « objet fini ». Et le considérer comme tel revient à commettre un crime contre l’humanité, contre celle des auteurs qui sont toujours des êtres vivants même s'ils sont morts et enterrés depuis des siècles. Qui oserait prétendre qu'Homère, Ronsard ou Shaekespeare, Copernic, Darwin ou Enstein sont des auteurs "finis" parce que leurs corps sont redevenus poussière ? Il en est de même du plus modeste des écrivants, car le livre n’est pas plus un cercueil qu'il n'est un objet de consommation, volume feuilleté, dévoré, digéré ou vomi, puis chassé avec l’eau de la cuvette. Il est « objet in-fini » et doit être pensé comme tel parce qu'il est un maillon, certes fragile, mais inaltérable, inscrit dans le long débat de la connaissance. A contrario de cette réalité, toute publication qui se pose comme immuable, finie, totale ou sacrée ne peut être que diabolique, œuvre d’un Satan déterminé à tromper les lecteurs. Car, sachant que sa maîtrise est impossible, sauf pour un Être Suprême qui serait omniscient et capable de voir le passé, le présent et le futur simultanément, le propre de la connaissance n’est pas d’être absolument connu ! La connaissance est infinie parce que le réel est inachevé, en mutation permanente ; et la quête de la connaissance est à remettre tous les jours sur le métier parce que tous les jours un nouveau jour apporte ses variations à ce qui est. Prétendre le contraire revient à vouloir se croire apte à tout savoir. Retour à la pomme croquée par Adam et Eve, au péché originel ? En violant l'interdit qui lui était fait, le couple premier apprit le goût du fruit défendu mais pas sa complexité si génétiquement modifié depuis la nuit du temps que dieu lui-même, celui des hommes, en perd son latin !

Le blog a l’avantage sur le livre d’être un outil plus souple, moins figé, moins définitif. Quelques connections et le contenu de la pensée peut être rectifié, corrigé, amélioré. Il peut accompagner la pensée en développement. Quoi de plus exaltant ? Dans le même temps, ce mérite recèle le pire des dangers : celui de permettre l'effacement du parcours sinueux de la pensée, de ses hésitations et de ses procédures, et de fournir aux mauvais joueurs le moyen d'assurer que ce qui été dit et écrit ne l’a jamais été. Un petit clic et tout s'efface ! Belle occasion de nier ses erreurs ; triste opération, surtout, qui empêche de revenir sur un effacement trop précipité. Car l'erreur d'hier peut devenir le chemin de demain. Qui peut savoir à l'avance ce qui mérite d'être oublié ? Mieux vaut mettre à l'écart que détruire à jamais.

Entre le livre et le blog, le cœur balance. Mais peut-être y a-t-il une solution pour se sortir de l’impossible alternative : le livre-blog, quand celui-ci expose ce que l’auteur veut dire, mais préserve dans le même temps tout le fil de sa pensée, ses errements, ses hésitations, ses premières et dernières versions, ses trajectoires croisées avec celles d’autres auteurs. Il est comme les brouillons des écrivains d'avant les traitements de texte, ces pages d'écritures qui ne perdaient aucune rature, ces formes de résilience qui permettent de comprendre comment le plus beau chef d'oeuvre peut être le fruit d'un processus laborieux mais o combien instructif. La technologie permet ce miracle. Elle suppose seulement de refuser l’effacement de quoi que ce soit qui a été noté. Car la connaissance ne se décline pas au présent ; elle est à tous les temps. L’historien est bien placé pour comprendre cette loi, lui dont la fonction est de reconstruire les attitudes, mentalités, certitudes d’hier pour les mettre en perspectives par rapport à aujourd’hui et, peut-être, demain.

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