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Le spectateur affranchi
8 février 2020

SAVOIR A VENDRE : LA RECHERCHE EN DANGER

411JxfQWS7LMettre en concurrence la recherche selon les principes du libre marché revient à la détruire. Par définition, la recherche travaille sur des inconnues qui ne peuvent être soumises à l’appréciation de gestionnaires ou d’administrateurs. Non seulement ces derniers n’ont pas compétence pour évaluer la qualité du travail de recherche, mais ils ne peuvent pas savoir la pertinence de ce qui n’a pas encore été découvert. La recherche ne peut pas fonctionner selon les lois et règles du marché ou de la stricte administration comptable puisque la valeur du produit espéré est impossible à mesurer et que nul ne sait si c’est le travail sur les castors ou celui sur les bulbes de tulipes qui fera mouche. Imposer aux chercheurs le sujet de leur recherche par voie de mise en concurrence suppose que les forces qui trancheront entre deux équipes disposent d’une qualité rare : avoir l’intuition d’une future invention. La procédure revient en fait à fermer devant les chercheurs toutes les portes des possibles pour leur imposer d’en franchir une seule sans certitude qu’elle soit la bonne : l’historien de l’art est invité à travailler sur les femmes peintres plutôt que sur l’évolution du portrait parce que mode y souscrit ; l’historien sur les effets positifs de la colonisation plutôt que l’imaginaire révolutionnaire entre 1871 et 1936 parce que impératifs politiciens le veulent ; le climatologue sur les incendies australiens plutôt que les sources et l’alimentation du Gulf Stream parce que le feu de l’actualité y prédispose ; et ainsi de suite.

Dans le monde réel de la Recherche, les chercheurs doivent être libres d’interroger tous les chemins de traverse, ceux qui seront des impasses parmi lesquelles se cachent les solutions que nul n’imagine. Cette réalité sans certitude a un coût qui explique pourquoi elle relève d’abord de l’investissement d’État parce que lui seul peut se permettre de travailler en dehors des logiques commerciales ; tel est son privilège. Les marchands sont plus doués pour innover que pour inventer. Non qu’ils ne puissent voir sortir une invention de leurs laboratoires ; c’est toujours possible mais telle n’est pas leur vocation. Les laboratoires privés travaillent plus sur les maladies à forte expansion que les rares ; ce n’est pas un hasard ni un scandale. Ce n’est que l’effet d’une logique différente qui doit être acceptée sans que l’autre logique soit condamnée pour autant. À chacun selon ses objectifs et talents. Transformer l’État en entreprise privée, c’est priver l’état de sa raison d’être et de la richesse qu’il finit toujours par produire, n’en déplaise aux actionnaires de la rentabilité à court terme.

Savoir à vendre de Christian de Montlibert, compte-rendu. Plus que jamais d'actualité.

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  • Il y eut des spectateurs engagés. Le refusant est un acteur qui entend rester libre autant que faire se peut. Mais sa liberté passe par l'analyse attentive du monde. Un spectateur affranchi est un acteur averti, au mieux du possible.
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